On peut parler de “l’exception française” dans le paysage du rhum. L’histoire plus que la géographie a dicté les particularismes du rhum des départements d’Outre-mer. Trois îles, la Martinique, la Guadeloupe et Marie-Galante qui ont su transformer le tafia, boisson des esclaves et des déshérités, en un nectar apprécié par les amateurs d’eaux-de-vie les plus exigeants.
Un récent Conseil des ministres de l’Union européenne a reconnu la spécificité du rhum antillais en adoptant l’appellation “rhum des départements français d’outre-mer”.
La Martinique
Nous voici au paradis du “rhum habitant” (le rhum agricole). Doit-on remercier Napoléon (ou plutôt les Anglais) pour avoir contribué à la naissance de l’élixir antillais ? Quand les Anglais instituent le blocus continental, bloquant tous les ports français en 1806, Napoléon recherche alors une autre source d’approvisionnement en sucre et se tourne vers la betterave. Privées de leur débouché, affectées par l’effondrement du cours du sucre, les sucreries des Antilles disparaissent les unes après les autres en moins de cent ans ainsi que nombre de distilleries qui perdent leur approvisionnement en mélasse. Reste à trouver un débouché pour la canne à sucre.
Ainsi naît le rhum agricole, élaboré directement à partir du jus de canne à sucre, sans passer par l’étape sucrière.
Depuis 1996, le rhum martiniquais est régi par une AOC (lire page 29) qui fixe les règles de production pour les neuf distilleries et les deux habitations qui produisent aujourd’hui du rhum en Martinique : Thieubert (Neisson), Saint-James (Saint- James, Bally), Fonds Préville Crassous de Médeuil (JM), La Favorite, Depaz, Dillon, Le Simon (Habitations Saint-Etienne et Clément), La Mauny (La Mauny, Trois-Rivières et Duquesne) et enfin la sucrerie du Galion. Elles commercialisent 17 marques de rhum dont 12 majeures. La saison rhumière commence en février. La canne à sucre est coupée, encore souvent à la main et amenée jusqu’à la distillerie en chariot ou en tracteur. Les tiges sont défibrées avant d’être broyées pour extraire le vesou. Les parties sèches ou “bagasse” serviront à alimenter les chaudières. Il faut une année complète pour obtenir des tiges de deux à quatre mètres. Le cycle de vie de la canne à sucre est de sept ans. On estime qu’il faut 10 kg de cannes à sucre pour produire un litre de rhum.
Des “habitations” prestigieuses
La Martinique est fière de son rhum et le montre en ouvrant grand les portes de ses distilleries et de ses “habitations” dont certaines comme chez Clément ont été transformées en musées. La distillerie Le Simon est l’une des plus importantes de l’île avec une capacité de production de plus de trois millions de litres par an. Elle dispose d’une batterie d’alambics à colonne de type différent, ce qui permet de produire des eaux-de-vie de typicité différente.
Ainsi Saint-Etienne, racheté en 1994 par José Hayot, est réputé pour sa finesse et son caractère fruité, aussi bien du rhum blanc que du rhum vieux. Notamment un rhum blanc brassé et réduit progressivement sur quatre années et un X.O réunissant un assemblage des meilleurs millésimes. Clément produit notamment un rhum agricole blanc élaboré avec une variété particulière de canne à sucre, la canne bleue. Autre curiosité, un “schrub” (liqueur au rhum et à l’orange) élaboré dans la pure tradition martiniquaise. La Mauny est le premier rhum blanc consommé localement. Les rhums vieux se déclinent en assemblages (un VSOP et un XO) et deux millésimes au caractère puissant (un 1995 et un 1998).
Autre joyau de La Martinique réputé pour ses vieux rhums au caractère poivré, JM est produit de la distillerie de Fonds Préville tout au nord de l’île. Deux âges sont commercialisés : un de 10 ans, un de 15 ans, ainsi qu’un vieux millésime. La distillerie Neisson, sur la commune du Carbet, est implantée sur un terroir volcanique. Cette petite distillerie artisanale s’est fait un grand nom auprès des amateurs. Dillon et Saint-James sont les premières marques de rhum blanc en métropole. Fort de ses traditions et de son AOC, le rhum martiniquais occupe vraiment une place à part sur la planète rhum.
AOC : traçabilité
Il aura fallu plus de vingt ans aux rhumiers de Martinique pour obtenir, le 5 novembre 1996, une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), la seule accordée en dehors de la métropole et jusqu’à ce jour, l’unique label permettant une véritable traçabilité décernée à un rhum de par le monde. L’AOC repose sur une notion fondamentale, celle du terroir défini par un type de sol et un microclimat. Une douzaine de variétés de canne à sucre sont
inscrites au catalogue de l’AOC. Le cahier des charges définit en outre les obligations à respecter tout au long de l’élaboration du rhum. Le producteur doit tenir des registres et assurer une traçabilité depuis la plantation des cannes jusqu’à l’embouteillage du rhum, lequel ne pourra être mis en commercialisation qu’après examen et dégustation devant la commission d’experts. Il est important de noter que 100% des rhums commercialisés auront été dégustés pour validation.
L’AOC définit principalement trois familles de rhum issu, bien sûr de la distillation du jus de canne
Le rhum blanc agricole : Il représente 85% des volumes. Il ne présente aucune coloration et connaît une période de maturation minimum en cuve de 8 semaines après sa distillation. Il est embouteillé à 70%, 62%, 55%, 50% ou 40% vol.
Le rhum ambré agricole ou élevé sous bois (ESB) : représentant 8% des volumes : il est élevé pendant au moins douze mois sous bois, généralement dans des foudres de chêne.
Le rhum vieux agricole : Si sa part grandit, il ne représente pour l’instant que 9% des volumes. Un rhum vieux martiniquais doit séjourner trois ans au minimum sur place dans des fûts de chêne. Il doit également être embouteillé sur place. Au sein des rhums vieux, les appellations choisies par les maisons sont variables mais répondent à un règlement précis : 3 ans mini pour les Vieux et VO, 4 ans mini pour les Très Vieux, Réserve Spéciale, Cuvée Spéciale et VSOP et 6 ans mini pour les Extra Vieux, Grande Réserve, Hors d’Agen et les XO. Enfin les millésimes répondent à des critères précis comme, par exemple, avoir un minimum de 6 ans de fût.
Source : DUGAS Paris – 4, avenue des Terroirs de France – 75012 PARIS – Le Guide du Rhum 2014 – L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération
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