Née en Asie, la canne à sucre s’est répandue dans les pays du soleil au hasard des conquêtes territoriales et des grandes découvertes pour finalement s’ancrer dans les Caraïbes et les Antilles. Il aura fallu bien des siècles et des tourments au rhum pour que le “tue-diable” devienne la noble boisson qu’il est aujourd’hui. Une histoire fascinante.
Une canne venue d’Asie
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la canne à sucre n’est pas originaire du continent américain, comme la tomate ou la pomme de terre, mais d’Asie. Des plants sauvages de saccharum officinarum (le nom savant de la canne cultivée) ont été en effet retrouvés en Nouvelle-Guinée. La canne a certainement été cultivée très tôt, notamment dans le sous-continent indien, car elle constitue la seule source naturelle de sucre avec le miel que l’homme pouvait se procurer.
Historiquement, la première mention écrite de la canne à sucre est fournie par un général d’Alexandre le Grand, qui décrit, dans son récit d’un voyage entre l’Indus et l’Euphrate, “un roseau indien qui donne du miel sans l’aide des abeilles, à partir duquel on élabore une boisson enivrante”.
A partir des Indes, la canne à sucre va entreprendre une lente progression d’est en ouest, au rythme de l’expansion de la civilisation musulmane dans le bassin méditerranéen, dans toute l’Afrique du Nord, mais aussi à Chypre, à Malte et en Sicile.
Non seulement sa culture est rémunératrice, car le sucre – considéré comme une épice – se vend fort cher en Europe du Nord, mais les savants arabes – les plus en avance à la fin du premier millénaire – ont découvert les vertus du sirop de sucre pour conserver les qualités des herbes médicinales.
Au 14ème siècle, la canne à sucre a atteint les limites extrêmes du monde occidental, étant exploitée à Madère et dans les îles Canaries. Car elle a besoin d’un climat tropical pour prospérer. La plante, qui peut atteindre 4 à 5 mètres de haut, craint le froid et a besoin de beaucoup d’eau, qu’elle stocke dans ses tiges, donnant un jus à haute teneur en saccharose.
Par contre, elle pousse facilement sur la plupart des sols. En 1493, lors de son deuxième voyage vers le “Nouveau Monde”, Christophe Colomb embarque sur ses navires des plants de canne à sucre provenant des Canaries, qui seront cultivés dans l’île d’Hispaniola (l’actuelle Saint-Domingue – Haïti). Au fur et à mesure de l’expansion espagnole dans les Caraïbes et les Antilles, la canne est systématiquement du voyage, tandis que les Portugais la développent sur le continent sud-américain.
A tel point que, en 1625, le Brésil est le principal fournisseur en sucre de l’Europe… Mais, même au 16ème siècle, il n’est pas encore question d’eau-de-vie, même si certains voyageurs parlent d’une boisson fermentée à base du sucre de canne “qui rend fou”… Aujourd’hui cultivée sur 20 millions d’hectares dans le monde entier, la canne à sucre est une des toutes premières productions agricoles de la planète, pour le sucre et le rhum, mais aussi pour fournir des biocarburants se substituant au pétrole.
Pour les esclaves et les marins
Importée d’Europe, où les Hollandais l’ont développée au cours du 16ème siècle, la distillation industrielle arrive dans le Nouveau Monde au début du 17ème siècle, avec la première mention connue à La Barbade vers 1630. Et, dans son “Histoire Générale des Antilles”, publiée en 1667, le père du Tertre décrit longuement la fabrication du sucre de canne, précisant que “les écumes (c’est-à-dire la mélasse) des secondes et troisièmes chaudières, et tout ce qui se répand en le remuant, tombe sur le glacis des fourneaux et coule dans un canot où il est réservé pour en faire de l’eau-de-vie”. Car, à la différence de la plupart des autres eaux-de-vie, le rhum n’a été longtemps qu’un sous-produit de l’industrie sucrière.
En effet, après plusieurs étapes d’extraction pour obtenir le sucre raffiné, il reste un sous-produit liquide, la mélasse, qui contient encore du sucre, mais que les méthodes de l’époque, ne savent pas extraire. C’est cette mélasse qui, après une fermentation rapide, va servir de matières premières dans les alambics pour être distillée. Chargée d’impuretés et distillée de façon rudimentaire (malgré les perfectionnements apportés par le père Labat au 18ème, siècle), la mélasse ne donne pas une eau-de-vie de grande qualité, bien au contraire. D’où son appellation en anglais de kill-devil (tue-diable, qui donnera guildive en créole) apparue, au 17ème siècle à la Barbade, et qui souligne bien la puissance de cette eau-de-vie, mais aussi ses effets nocifs.
Quant au mot rum, qui s’impose dans les îles anglaises dès le 18ème siècle, son origine est plus incertaine : raccourcissement du terme latin saccharum (qui désigne la canne à sucre) ou abréviation du mot anglais rumbullion (qui pourrait se traduire par grand tumulte) ? Les linguistes n’ont pas vraiment tranché, ni n’expliquent pourquoi le français a intercalé un “h” (notamment dans l’Encyclopédie), après avoir utilisé le mot “rome”…
La mauvaise qualité du rhum explique donc qu’il sera longtemps méprisé par les colons et la bonne société européenne, qui lui préfèrent les eaux-de-vie de vin, voire de céréales. Pourtant, dès le 19ème siècle, on distingue déjà le rhum, plus distingué et aromatique et en principe distillé directement à partir du jus de canne, du tafia, obtenu à partir de la mélasse. Jusqu’à la fin du 19ème siècle, avant que ne se modernisent les procédés de distillation, le rhum reste donc la boisson des classes pauvres, à commencer par les esclaves noirs, que l’on paie en rhum, des marins mais aussi des pirates et des flibustiers, voire des poilus dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Et c’est le 20ème siècle, avec notamment la vogue des punchs puis des cocktails, qui verra le rhum accéder enfin à la notoriété qu’il mérite.
Source : DUGAS Paris – 4, avenue des Terroirs de France – 75012 PARIS – Le Guide du Rhum 2014 – L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération
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